PARTIE DEUX
→ Etudes de cas: Téluq, le cas québécois.
Téluq
est une université virtuelle mise en place dès 1972 au Québec. Son
programme de formation exclusivement à distance s'est confronté à
une réorganisation complète du système pédagogique traditionnel
impliquant cinq acteurs : étudiant, informateur, concepteur,
formateur et gestionnaire. A Téluq, tout le parcours universitaire
s'effectue réellement en ligne : le cours, les exercices, les
devoirs et les examens, avec l'aide éventuelle d'une
« personne-ressource », un tuteur. Des chargés
d'encadrement, des spécialistes de la communication écrite, de la
pédagogie et de l'édition multimédia s'ajoutent à une équipe de
67 professeurs. Le temps de travail personnel par semaine est
définit, et seul l'examen final est susceptible d'être surveillé,
au quel cas il a lieu dans une bibliothèque ou une école près du
domicile de l'étudiant. Par exemple, pour un cours de 3 crédits, 6
à 9 heures de travail personnel par semaine sont recommandées, sur
15 jours. Le travail autonome est donc une règle sans laquelle il
est impossible de réussir. A domicile, l'étudiant reçoit un guide
d'étude récapitulatif, un échéancier pour l'organisation, des
manuels, livres, CD, DVD, exercices et travaux qui seront, une fois
complétés, renvoyés à l'université. Les conditions d'admissions
ne sont pas exclusives : un diplôme d'étude collégial (selon
les programmes), un diplôme universitaire ou des connaissances et
expériences pertinentes à un programme (avec ici un minimum de 21
ans) sont demandés. Ainsi, seuls 60% des étudiants ont moins de 30
ans : les différents programmes sont aussi bien destinés aux
bacheliers qu'aux professionnels qui souhaitent compléter leurs
compétences. A ce jour, Téluq propose 400 cours de premier ou
second cycle et 75 programmes, du baccalauréat à la maîtrise en
passant par des certificats et formations professionnelles, tous
reconnus par l’État Québécois.
Sa
formule de formation à distance est d'une grande souplesse :
l'inscription peut se faire à temps complet ou partiel, ce qui
permet une activité professionnelle ou sportive tout en étudiant.
La formation ne nécessite qu'un accès à internet, ce qui permet
aux personnes à mobilité réduite ou domiciliées dans un pays où
les études ne sont pas accessibles, de se former dans le supérieur.
De plus, l'université n'est pas contingentée, ses cours sont donc
disponibles tous les trimestres y compris l'été.
Pour
l'année 2011-2012, Téluq a eu un budget de 45,7 millions de dollars
pour environ 18 000 étudiants. 69% de ce budget est assuré par des
subventions étatiques, et seulement 14% proviennent des revenus de
droit de scolarité (les 16% restant émanent d'autres revenus,
notamment des partenariats). En comparaison, l'université de
Bordeaux 3 a eu un budget annuel de 86 millions d'euros soit 111,9
millions de dollars pour l'année 2011-2012, pour environ 15 000
étudiants. Bordeaux 3 héberge moins d'étudiants mais a donc un
budget plus de deux fois plus important que Téluq. L'université en
ligne a besoin de matériel technologique développé et d'une
organisation particulière, mais limite cependant ses frais en ne
nécessitant pas de locaux.
Pour
les étudiants québécois, les frais d'inscription sont peu élevés,
ils augmentent de 25$ par cours pour un étudiant américain, ce qui
est dû aux coûts téléphoniques du tuteur. Pour les étrangers,
cet échange se fait uniquement par courriel et n'implique pas de
frais supplémentaires. Une demande d'admission fictive à un cours
de psychopathologie (cours du secondaire) m'a permit d'en évaluer le
coût pour un citoyen québécois. Il faut noter que ce cours
représente 3 crédits et qu'il faut parvenir à 12 crédits pour
obtenir un diplôme d'étude supérieure spécialisé en santé
mentale – soit s'inscrire à 3 autres cours. Les frais de scolarité
sont alors de 216$ auxquels s'ajoutent 35$ de frais de documentation,
10$ de frais de service étudiant, 14$ de frais technologiques, 51$
de frais généraux par trimestre, 80$ de frais d'admission et 18$ de
cotisation pour l'association étudiante de la télé-université et
la fondation universitaire. Le total est de 426$ canadiens soit 318,5
euros. Pour un étudiant étranger ne résidant pas au Québec, les
frais d'inscription s'élèvent à 1456.17 $ ce qui fait un total de
1680.42$ soit 1256 euros. Finalement, Téluq n'est pas si accessible
aux étrangers car les frais annuels limitent l'accès aux études,
même si cela reste une solution pour les personnes qui ne peuvent
pas se former dans leur pays. Pour ceux qui voyaient en l'université
numérique un moyen de rendre le savoir accessible aux pays les moins
développés, c'est un échec, même si l'on peut imaginer que la
généralisation des campus numériques feraient baisser les frais
d'inscription.
Patrick
Guillemet a réalisé une analyse des cours à Téluq, dont il
ressort par exemple l'écart qui se creuse entre les étudiants
maîtrisant les nouvelles technologies et ceux qui ne les dominent
pas. L'enseignement à distance nécessite un minimum de connaissance
et de pratique de l'informatique, sans lesquels un problème lié à
la connexion internet par exemple, peut vite devenir très
handicapant.
Une
étude effectuée à Téluq révèle que le taux d'abandon des cours
en ligne sont relativement élevés : de 27 à 43% selon les
cours. La séparation physique et l'isolement qu'implique ce système
semblent en être les principaux facteurs. L'environnement
traditionnel d'étude inclut en effet un interlocuteur et un échange
physique, avec les professeurs mais aussi avec les camarades de cours
qui stimulent l'apprenant. Le contact humain avec l'enseignant induit
une certaine surveillance de l'élève, ainsi qu'un échange concret
par la parole et le regard pendant le cours. L'université numérique
ne recréée qu'une infime partie de cet échange : le
professeur renvoie à l'élève un cours et un regard, mais l'élève
cependant n'interagit pas avec lui. L'enseignant ne peut pas savoir
si l'apprenant regarde son cours, s'il est attentif ou distrait, il
n'adapte pas son comportement à l'élève. Dans les amphis
universitaire, le professeur peut rappeler à l'ordre les élèves
trop distraits et les inciter à se replonger dans le cours.
L'étudiant de l'université numérique n'a aucune forme d'obligation
à suivre, et n'a que sa propre motivation pour rester attentif. De
la même manière, il n'appartient qu'à un groupe d'étudiants
virtuel avec lequel il interagit via un forum : il ne fait pas
partie d'une « foule » ni d'une classe physique, il ne
peut avoir de discussions que virtuelles. Pas de contact visuel ni
physique, pas de regards ni de sourires, impossible de capter les
expressions et ressentis de l'autre. La motivation personnelle et la
rigueur sont les seuls éléments qui poussent les élèves à suivre
les cours. L'autonomie et la maturité sont des qualités d'autant
plus nécessaires d'acquérir pour étudier dans une université
virtuelle, l'isolement pouvant être un source de mal être pour
beaucoup. De plus, l'ordinateur est une source de distraction offrant
une multitude d'information, de contact, de jeux et d'occupations qui
peuvent déconcentrer lors d'un cours en ligne. Une simple difficulté
de compréhension peut entraîner l'étudiant à changer de page web
sur son ordinateur, ce qui fait rapidement perdre le fil du cours.
L'interaction étant impossible pendant le cours, une incompréhension
peut empêcher l'élève de suivre et le faire prendre du retard.
Nicole Racette, co-auteur de cette étude, remarque aussi que la
majorité des apprenants sont gênés par le recours d'une personne
ressource, qu'il faut joindre par téléphone ou courriel. Une fois
de plus, l'échange physique réduirait cette gêne et par la même
occasion le taux d'abandon des cours en ligne.
Selon
Jean Loisier, de l'université de Montréal, un document en ligne
n'est pas interprété ni travaillé comme un texte papier. Le
support numérique ne permet pas d'étudier de la même manière, et
limite la mise en relation des notions par l'étudiant. D'autre part,
les cours ne sont pas linéaires et sont relativement espacés dans
le temps. Ils sont construits pour laisser à l'étudiant du temps de
travail personnel, ce qui peut égarer les moins bien organisés. En
choisissant plusieurs cours sur la même année, ce qui est courant,
deux cours aux thématiques très différentes peuvent se succéder.
Cela a pour conséquence de désorienter et de surcharger l'élève
de notions opposites qui ne devraient pas être abordées en même
temps.
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