lundi 18 mars 2013

Téluq

PARTIE DEUX

→ Etudes de cas: Téluq, le cas québécois.


 
Téluq est une université virtuelle mise en place dès 1972 au Québec. Son programme de formation exclusivement à distance s'est confronté à une réorganisation complète du système pédagogique traditionnel impliquant cinq acteurs : étudiant, informateur, concepteur, formateur et gestionnaire. A Téluq, tout le parcours universitaire s'effectue réellement en ligne : le cours, les exercices, les devoirs et les examens, avec l'aide éventuelle d'une « personne-ressource », un tuteur. Des chargés d'encadrement, des spécialistes de la communication écrite, de la pédagogie et de l'édition multimédia s'ajoutent à une équipe de 67 professeurs. Le temps de travail personnel par semaine est définit, et seul l'examen final est susceptible d'être surveillé, au quel cas il a lieu dans une bibliothèque ou une école près du domicile de l'étudiant. Par exemple, pour un cours de 3 crédits, 6 à 9 heures de travail personnel par semaine sont recommandées, sur 15 jours. Le travail autonome est donc une règle sans laquelle il est impossible de réussir. A domicile, l'étudiant reçoit un guide d'étude récapitulatif, un échéancier pour l'organisation, des manuels, livres, CD, DVD, exercices et travaux qui seront, une fois complétés, renvoyés à l'université. Les conditions d'admissions ne sont pas exclusives : un diplôme d'étude collégial (selon les programmes), un diplôme universitaire ou des connaissances et expériences pertinentes à un programme (avec ici un minimum de 21 ans) sont demandés. Ainsi, seuls 60% des étudiants ont moins de 30 ans : les différents programmes sont aussi bien destinés aux bacheliers qu'aux professionnels qui souhaitent compléter leurs compétences. A ce jour, Téluq propose 400 cours de premier ou second cycle et 75 programmes, du baccalauréat à la maîtrise en passant par des certificats et formations professionnelles, tous reconnus par l’État Québécois.
Sa formule de formation à distance est d'une grande souplesse : l'inscription peut se faire à temps complet ou partiel, ce qui permet une activité professionnelle ou sportive tout en étudiant. La formation ne nécessite qu'un accès à internet, ce qui permet aux personnes à mobilité réduite ou domiciliées dans un pays où les études ne sont pas accessibles, de se former dans le supérieur. De plus, l'université n'est pas contingentée, ses cours sont donc disponibles tous les trimestres y compris l'été.
Pour l'année 2011-2012, Téluq a eu un budget de 45,7 millions de dollars pour environ 18 000 étudiants. 69% de ce budget est assuré par des subventions étatiques, et seulement 14% proviennent des revenus de droit de scolarité (les 16% restant émanent d'autres revenus, notamment des partenariats). En comparaison, l'université de Bordeaux 3 a eu un budget annuel de 86 millions d'euros soit 111,9 millions de dollars pour l'année 2011-2012, pour environ 15 000 étudiants. Bordeaux 3 héberge moins d'étudiants mais a donc un budget plus de deux fois plus important que Téluq. L'université en ligne a besoin de matériel technologique développé et d'une organisation particulière, mais limite cependant ses frais en ne nécessitant pas de locaux.
Pour les étudiants québécois, les frais d'inscription sont peu élevés, ils augmentent de 25$ par cours pour un étudiant américain, ce qui est dû aux coûts téléphoniques du tuteur. Pour les étrangers, cet échange se fait uniquement par courriel et n'implique pas de frais supplémentaires. Une demande d'admission fictive à un cours de psychopathologie (cours du secondaire) m'a permit d'en évaluer le coût pour un citoyen québécois. Il faut noter que ce cours représente 3 crédits et qu'il faut parvenir à 12 crédits pour obtenir un diplôme d'étude supérieure spécialisé en santé mentale – soit s'inscrire à 3 autres cours. Les frais de scolarité sont alors de 216$ auxquels s'ajoutent 35$ de frais de documentation, 10$ de frais de service étudiant, 14$ de frais technologiques, 51$ de frais généraux par trimestre, 80$ de frais d'admission et 18$ de cotisation pour l'association étudiante de la télé-université et la fondation universitaire. Le total est de 426$ canadiens soit 318,5 euros. Pour un étudiant étranger ne résidant pas au Québec, les frais d'inscription s'élèvent à 1456.17 $ ce qui fait un total de 1680.42$ soit 1256 euros. Finalement, Téluq n'est pas si accessible aux étrangers car les frais annuels limitent l'accès aux études, même si cela reste une solution pour les personnes qui ne peuvent pas se former dans leur pays. Pour ceux qui voyaient en l'université numérique un moyen de rendre le savoir accessible aux pays les moins développés, c'est un échec, même si l'on peut imaginer que la généralisation des campus numériques feraient baisser les frais d'inscription. 
 
Patrick Guillemet a réalisé une analyse des cours à Téluq, dont il ressort par exemple l'écart qui se creuse entre les étudiants maîtrisant les nouvelles technologies et ceux qui ne les dominent pas. L'enseignement à distance nécessite un minimum de connaissance et de pratique de l'informatique, sans lesquels un problème lié à la connexion internet par exemple, peut vite devenir très handicapant.
Une étude effectuée à Téluq révèle que le taux d'abandon des cours en ligne sont relativement élevés : de 27 à 43% selon les cours. La séparation physique et l'isolement qu'implique ce système semblent en être les principaux facteurs. L'environnement traditionnel d'étude inclut en effet un interlocuteur et un échange physique, avec les professeurs mais aussi avec les camarades de cours qui stimulent l'apprenant. Le contact humain avec l'enseignant induit une certaine surveillance de l'élève, ainsi qu'un échange concret par la parole et le regard pendant le cours. L'université numérique ne recréée qu'une infime partie de cet échange : le professeur renvoie à l'élève un cours et un regard, mais l'élève cependant n'interagit pas avec lui. L'enseignant ne peut pas savoir si l'apprenant regarde son cours, s'il est attentif ou distrait, il n'adapte pas son comportement à l'élève. Dans les amphis universitaire, le professeur peut rappeler à l'ordre les élèves trop distraits et les inciter à se replonger dans le cours. L'étudiant de l'université numérique n'a aucune forme d'obligation à suivre, et n'a que sa propre motivation pour rester attentif. De la même manière, il n'appartient qu'à un groupe d'étudiants virtuel avec lequel il interagit via un forum : il ne fait pas partie d'une « foule » ni d'une classe physique, il ne peut avoir de discussions que virtuelles. Pas de contact visuel ni physique, pas de regards ni de sourires, impossible de capter les expressions et ressentis de l'autre. La motivation personnelle et la rigueur sont les seuls éléments qui poussent les élèves à suivre les cours. L'autonomie et la maturité sont des qualités d'autant plus nécessaires d'acquérir pour étudier dans une université virtuelle, l'isolement pouvant être un source de mal être pour beaucoup. De plus, l'ordinateur est une source de distraction offrant une multitude d'information, de contact, de jeux et d'occupations qui peuvent déconcentrer lors d'un cours en ligne. Une simple difficulté de compréhension peut entraîner l'étudiant à changer de page web sur son ordinateur, ce qui fait rapidement perdre le fil du cours. L'interaction étant impossible pendant le cours, une incompréhension peut empêcher l'élève de suivre et le faire prendre du retard. Nicole Racette, co-auteur de cette étude, remarque aussi que la majorité des apprenants sont gênés par le recours d'une personne ressource, qu'il faut joindre par téléphone ou courriel. Une fois de plus, l'échange physique réduirait cette gêne et par la même occasion le taux d'abandon des cours en ligne.
Selon Jean Loisier, de l'université de Montréal, un document en ligne n'est pas interprété ni travaillé comme un texte papier. Le support numérique ne permet pas d'étudier de la même manière, et limite la mise en relation des notions par l'étudiant. D'autre part, les cours ne sont pas linéaires et sont relativement espacés dans le temps. Ils sont construits pour laisser à l'étudiant du temps de travail personnel, ce qui peut égarer les moins bien organisés. En choisissant plusieurs cours sur la même année, ce qui est courant, deux cours aux thématiques très différentes peuvent se succéder. Cela a pour conséquence de désorienter et de surcharger l'élève de notions opposites qui ne devraient pas être abordées en même temps.

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